• C'est pour toujours que je suis ici !...

     

     

    C'est pour toujours que je suis ici !...

    Thérèse en avril 1888 (15 ans)

    Ce 9 avril 1888, Thérèse entrera au Carmel; elle sait très bien que c'est pour toujours. Elle y restera jusqu'à sa mort le 30 septembre 1897.

       Le lundi 9 avril, jour où le Carmel célébrait la fête de l'Annonciation, remise à cause du carême, fut choisi pour mon entrée. La veille toute la famille était réunie autour de la table où je devais m'asseoir une dernière fois. Ah ! que ces réunions intimes sont déchirantes !... alors qu'on voudrait se voir oubliée, les caresses, les paroles les plus tendres sont prodiguées et font sentir le sacrifice de la séparation... Mon Roi chéri ne disait presque rien mais son regard se fixait sur moi avec amour... Ma Tante pleurait de temps en temps et mon Oncle me faisait mille compliments affectueux. Jeanne et Marie étaient aussi remplies de délicatesse pour moi, surtout Marie qui me prenant à l'écart me demanda pardon des peines qu'elle croyait m'avoir causées. Enfin ma chère petite Léonie, revenue de la Visitation depuis quelques mois, me comblait plus encore de baisers et de caresses. Il n'y a que Céline dont je n'ai pas parlé, mais vous devinez, ma Mère chérie, comment se passa la dernière nuit où nous avons couché ensemble... Le matin du grand jour, après avoir jeté un dernier regard sur les Buissonnets, ce nid gracieux de mon enfance que je ne devais plus revoir, je partis au bras de mon Roi chéri pour gravir la montagne du Carmel... Comme la veille toute la famille se trouva réunie pour entendre la Ste Messe et y communier. Aussitôt que Jésus descendu dans le coeur de mes parents chéris, je n'entendis autour de moi que des sanglots, il n'y eut que moi qui ne versai pas de larmes, mais je sentis mon coeur battre avec une telle violence qu'il me sembla impossible d'avancer lorsqu'on vint nous faire signe de venir à la porte conventuelle, j'avançai cependant tout en me demandant si je n'allais pas mourir par la force des battements de mon coeur... Ah ! quel moment que celui-là, il faut y avoir passé pour savoir ce qu'il est... [Manuscrit A, 68vo-69ro]

    C'est pour toujours que je suis ici !...

       Mon émotion ne se traduisit pas au dehors; après avoir embrassé tous les membres de ma famille chérie, je me mis à genoux devant mon incomparable Père, lui demandant sa bénédiction; pour me la donner il se mit lui-même à genoux et me bénit en pleurant... C'était un spectacle qui devait faire sourire les anges que celui de ce vieillard présentant au Seigneur son enfant encore au printemps de la vie !... Quelques instants après, les portes de l'arche sainte se fermaient sur moi et là je recevais les embrassements des soeurs chéries qui m'avaient servi de mères et que j'allais désormais prendre pour modèles de mes actions... Enfin mes désirs étaient accomplis, mon âme ressentait une PAIX si douce et si profonde qu'il me serait impossible de l'exprimer et depuis 7 ans et demi cette paix intime est restée mon partage, elle ne m'a pas abandonné au milieu des plus grandes épreuves.                                                                            Comme toutes les postulantes je fus conduite au choeur aussitôt après mon entrée, il était sombre à cause du St Sacrement exposé et ce qui frappa d'abord mes regards fut les yeux de notre sainte Mère Geneviève qui se fixèrent sur moi, je restai un moment à genoux à ses pieds remerciant le bon Dieu de la grâce qu'Il m'accordait de connaître une sainte et puis je suivis notre Mère Marie de Gonzague dans les différents endroits de la communauté; tout me semblait ravissant, je me croyais transportée dans un désert, notre petite cellule surtout me charmait, mais la joie que je ressentais était calme, le plus léger zéphyr ne faisait pas onduler les eaux tranquilles sur lesquelles voguait ma petite nacelle, aucun nuage n'obscurcissait mon ciel d'azur... ah ! j'étais pleinement récompensée de toutes mes épreuves... Avec quelle joie profonde je répétais ces paroles : « C'est pour toujours, toujours que je suis ici !... » [Manuscrit A, 69ro-69vo]

    C'est pour toujours que je suis ici !...

       Ce bonheur n'était pas éphémère, il ne devait point s'envoler avec les illusions des premiers jours. Les illusions, le bon Dieu m'a fait la grâce de n'en avoir AUCUNE en entrant au Carmel : j'ai trouvé la vie religieuse telle que je me l'étais figurée, aucun sacrifice ne m'étonna et cependant, vous le savez, ma Mère chérie, mes premiers pas ont rencontré plus d'épines que [de] roses !... Oui la souffrance m'a tendu les bras et je m'y suis jetée avec amour... Ce que je venais faire au Carmel, je l'ai déclaré aux pieds de Jésus-Hostie, dans l'examen qui précéda ma profession : « Je suis venue pour sauver les âmes et surtout afin de prier pour les prêtres. » Lorsqu'on veut atteindre un but, il faut en prendre les moyens; Jésus me fit comprendre que c'est par la croix qu'Il voulait me donner des âmes et mon attrait pour la souffrance grandit à mesure que la souffrance augmentait. Pendant 5 années cette voie fut la mienne mais à l'extérieur, rien ne traduisait ma souffrance d'autant plus douloureuse que j'étais seule à la connaître. Ah ! quelle surprise à la fin du monde nous aurons en lisant l'histoire des âmes !... qu'il y aura de personnes étonnées en voyant la voie par laquelle la mienne a été conduite !... [Manuscrit A, 69vo-70ro]

    C'est pour toujours que je suis ici !...


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